Le jeu vidéo n’a jamais été aussi populaire auprès du grand public, et pourtant il devient de plus en plus difficile de rester bien informé face à l’augmentation exponentielle de tous les projets et les jeux présents ou à venir.
Dans une telle ère, le journalisme vidéoludique dispose d’un rôle qui fait couler pas mal d’encre, à défaut pour les journalistes de la faire couler eux-mêmes. A la fois vanté pour ses mérites, mais aussi critiqué pour ses dérives, ce type de journalisme occupe une place centrale dans une industrie vidéoludique de plus en plus populaire auprès du grand public.
Focus sur les hommes, les femmes et les médias qui ont livré et qui livrent actuellement les nouvelles fraîches du jeu vidéo.
Bref tour d’horizon du journalisme vidéoludique
Le jeu vidéo étant finalement apparu très récemment, l’histoire du journalisme vidéoludique est donc tout aussi jeune.
Il est communément admis que le premier magazine à parler de jeu vidéo est Play Meter, sorti en 1974. qui s'intéressait aux jeux vidéo d’arcade et aux machines liées au divertissement. Il faut attendre 1981 pour voir un magazine britannique totalement spécialisé dans le jeu vidéo, intitulé Computer and Video Games, ainsi qu’un autre magazine américain consacré au jeu vidéo PC nommé Computer Gaming World, aujourd’hui considéré comme l’un des magazines fondateurs de la presse vidéoludique. C’est au Japon que l’on voit apparaître en 1985 Family Computer Magazine, le premier magazine consacré aux consoles de salon.
Le pionnier de la presse écrite vidéoludique
La France ne tarde pas à voir naître des magazines vidéoludiques, le premier d’entre eux étant Tilt en 1982, qui aura duré jusqu’en 1994. D’autres papiers naissent dans les années 80-90, pour diversifier l’offre, comme Generation 4 en 1987, Joystick en 1988 ou encore Consoles + en 1991. Parmi tous ces magazines consacrés aux consoles, d’autres focalisés sur le PC voient tout de même le jour, comme PC Jeux en 1997. Mais il faudra attendre Canard PC en 2003 pour avoir un autre magazine PC de référence dans les rayons, l’offre de presse vidéoludique étant clairement dominée par les magazines consoles. Mais un magazine va tous les gouverner dès l’été 2000, et même encore aujourd’hui : Jeux Vidéo Magazine, qui est encore publié aujourd’hui, contrairement à d’autres qui suivent le sort funeste de l’éditeur de presse M.E.R 7, qui subit une liquidation judiciaire en 2012, entraînant notamment dans sa chute Joystick, PC Jeux et Consoles +. Toutefois, d’autres tentent l’aventure de la presse vidéoludique papier, comme JV en 2013.
Notons que la télévision française a également accueilli à toutes époques des émissions consacrées au jeu vidéo, notamment sous un angle journalistique. Citons notamment No Life qui a été lancée en 2007 mais qui s’est arrêtée onze ans plus tard, ainsi que Game One qui voit le jour en 1998 et qui est toujours en activité.
Pour ce qui est des sites Internet, il est déjà plus difficile de déterminer qui a vraiment été le premier site à parler exclusivement de jeux vidéo. Le fanzine américain Game Zero revendique la création du premier site consacré à l’industrie vidéoludique en 1994, mais l’annonce officielle du site ne se fera que l’année suivante, en même temps qu’Intelligent Gamer Online. En France, notons parmi quelques autres sites que Jeuxvideo.com a été créé en 1997, suivi par Gamekult en 2000 et par Gameblog en 2007.
JV.com, bien des années plus tôt !
On peut citer le contenu de certains Youtubers, qui se plient à un exercice se rapprochant de celui que pourraient faire d’autres médias de presse vidéoludique. Pour le contenu francophone, on peut citer Monsieur Plouf ou encore Pseudoless, qu’on avait abordé dans cette Growing List. Niveau anglophone, citons l’excellent travail de People Make Games qui réalise des vidéos sur des thèmes globaux ou d’actualité concernant l’industrie vidéoludique.
Relevons enfin certains podcasts dont le contenu emprunte une approche journalistique, comme Silence On Joue ! (qui est d’ailleurs un podcast lié au journal Libération), Plouf et Pseudo ou encore Torréfaction.
To be Journaliste or not to be
Une question peut vite venir en tête quand on parle de journalisme : comment le définir ?
Si on s’en tient à une définition large, est journaliste celle ou celui qui va recueillir des informations afin de les retranscrire sur un format diffusé au grand public. Avec les progrès technologiques, le format en question était uniquement écrit, mais d’autres formats comme la radio ou la télévision ont pu émerger. Jusqu’à Internet qui a la capacité de mêler tous ces médias à la fois.
D’un point de vue légal, il existe un statut de journaliste professionnel en France depuis les lois dites Brachard et Cressard de 1935 et la loi de création de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels en 1936, instituant comme son nom l’indique la fameuse carte de presse. Aucune diplôme en particulier n’est d’ailleurs requis pour être journaliste, mais la profession valide tout de même certaines écoles et formations via une commission dédiée (Ndlr : la Commission paritaire nationale de l'emploi des journalistes, ou CPNEJ). Si le corpus législatif actuel n’empêche ainsi pas toute personne de pratiquer une certaine forme de journalisme même sans avoir le statut approprié, ils ne se voient cependant pas appliquer la protection qui en découle et ne se voient pas soumis aux règles de déontologie du journalisme. D’ailleurs au niveau européen, la Charte de Munich du 24 novembre 1971, adoptée par la Fédération européenne des journalistes, instaure des droits et devoirs du journaliste. Pour autant, elle n’a pas réellement de pouvoir contraignant et son application résulte de la bonne volonté de chacun. Il y a donc une coexistence entre les journalistes professionnels disposant d’un statut et les journalistes “amateurs” qui n’en disposent pas. De même, chaque entreprise ou association a ses propres critères de choix et de recrutement de ses journalistes. Ce qui n’est pas sans créer quelques problèmes ou controverses.
Aperçu d'une carte de presse
La presse vidéoludique est en effet vivement critiquée pour ses frontières parfois floues entre véritable travail de journalisme et publicité. C’est notamment le cas pour les critiques, test et autres aperçus de jeux, qui aboutissent à la délivrance d’une note. On estime que cette pratique de notation de jeux vidéo existe depuis les premiers magazines papiers des années 70, et reste très usitée aujourd’hui. A tel point qu’elle est devenue un élément essentiel de communication pour les éditeurs de jeux vidéo, qui n’hésitent pas à afficher dans leur marketing les notes positives du jeu, surtout si elles sont dithyrambiques.
Devant un tel constat, et indépendamment du débat concernant la pertinence de noter un jeu vidéo, il est évident de comprendre quels sont les enjeux derrière cette notation. Pour les résumer simplement, de bonnes notes pourront assurer un meilleur marketing, alors que des notes moyennes voire mauvaises pourront avoir un effet plus négatif.
Ainsi, plusieurs dérives ont pu naître d’un tel contexte. Des magazines affichant clairement leurs rapports avec une entreprise ont pu voir le jour, comme Nintendo Power, PlayStation: The Official Magazine ou encore Official Xbox Magazine qui publiaient des tests sur les consoles vendues par ces différentes entreprises, alors même que les magazines avaient des liens financiers avec elles. Ce qui remet bien évidemment l’indépendance des hommes et femmes qui ont pu rédiger des articles dans ces magazines.
D’autres controverses ont pu mettre en lumière le rapport parfois ambigu entre des éditeurs et certains acteurs de la presse vidéoludique. Celle qui a lancé le débat est la fameuse affaire dite “Doritos Gate”, qui part d’un article de Robert Florence sur le site anglophone Eurogamer publié en novembre 2012.
Cet article évoque la critique du jeu Halo 4 faite par le désormais célèbre Geoff Keighley, où le voit mis en scène avec un paquet de Doritos et des bouteilles de Mountain Dew, alors que les marques n’ont visiblement aucun rapport avec le contenu même de la critique.
Robert Florence cite également le tweet de Lauren Wainwright, journaliste pour le quotidien anglais The Sun, qui explique qu’elle ne voit aucun problème à ce que des journalistes participent à un concours pour recevoir un exemplaire du jeu Tomb Raider. Des recherches ultérieures vont d’ailleurs révéler que Lauren Wainwright travaillait auparavant pour Square Enix (Ndlr : éditeur de Tomb Raider).
La capture d'écran qui aura fait tant parler
Cet article de Robert Florence devient le point de départ et le symbole d’un débat encore actuel sur l’indépendance de la presse vidéoludique. Il suscite des réactions diverses et met en lumière des comportements similaires, notamment en France où on constate que Julien Chevron, auteur d’une critique de Call of Duty Black Ops II publiée sur la version française du site Eurogamer, travaillait dans le passé pour Activision comme manager aux relations publiques. Un autre évènement notable en 2015 concernait Julien Chièze, déjà en proie à certaines polémiques concernant ses rapports avec les éditeurs de jeux vidéo, qui avait posté une photo le montrant lui et plusieurs rédacteurs spécialisés au moment d’un repas au Japon organisé par Sony.
Notons pour conclure sur ces controverses les pratiques d’embargo menées par les éditeurs, imposant la sortie d’un article à un date particulière, le plus souvent à la date de sortie ou quelques jours avant, ou encore des pratiques de blacklisting dont a pu se plaindre le site Kotaku en 2015, indiquant ne plus recevoir depuis un an des copies de jeux Ubisoft et Bethesda.
La situation actuelle du journalisme vidéoludique
Après plusieurs décennies d’existence, le journalisme vidéoludique connaît une situation très délicate, notamment concernant les magazines papier.
En France notamment, bon nombre d’entre eux ont dû être contraints d’arrêter leur publication. S’il subsiste toujours quelques magazines dans les kiosques, le choix est quand même plus réduit qu’il y a quelques années.
Pour ce qui est des sites, les fortunes sont diverses. Jeuxvideo.com, ou plutôt JV.com, connaît un succès retentissant depuis plusieurs années, alors qu’un bon nombre de sites ont fermé entre-temps, faute de financement suffisant. Relevons aussi le cas de Gamekult, dont toute une équipe de rédaction est partie en décembre 2022 à la suite du rachat du site par le groupe Reworld Media, dont la réputation est très controversée concernant son rapport au journalisme.
Toutefois, on peut légitimement se poser la question de savoir si la présence d’un véritable travail journalistique est majoritaire ou non dans la presse vidéoludique française, voire mondiale. S’il y a bien sûr du contenu qui propose une véritable approche journalistique et la plus objective possible, il faut néanmoins constater qu’une grande partie se contente de livrer du contenu en quantité mais moins en qualité, notamment sur Internet, à grands renforts d’articles courts et dont les titres sont rédigés de telle manière à provoquer le clic des internautes. Si les controverses autour de l’indépendance des journalistes et rédacteurs a pu apporter un peu de mesure dans les notations de jeux, on remarque encore parfois un écart conséquent entre les notes des rédacteurs et celles du public.
Cette situation est cependant logique quand on garde en tête que tous les acteurs de la presse vidéoludique ne sont pas des journalistes au sens légal du terme. Par conséquent, il est probable que leur attachement et sensibilité à la déontologie du journalisme soit variable.
En synthèse, il est permis de dire que le journalisme vidéoludique ne suit pas totalement les règles et pratiques du journalisme au sens général, ce qui n’est pas sans créer des questionnements sur son système et son fonctionnement, ainsi qu’une perte de confiance certaine du public dans ces contenus, aussi bien papiers que numériques. Il ne vaudrait pas pour autant dresser un bilan totalement négatif de l’état de cette presse vidéoludique, qui propose encore du contenu indépendant et de qualité partout dans le monde.
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