Si on devait associer une personne avec les RPG japonais (ou J-RPG), celle-ci serait sans nul doute Hironobu Sakaguchi, tant la saga Final Fantasy, dont il est à l'origine, a connu un retentissement sans précédent dans le monde du jeu vidéo. Mais voilà que ce bon monsieur décide de se séparer de SquareSoft, le studio qui l'a vu naître et grandir dans l'industrie vidéoludique, afin créer sa propre boîte : Mistwalker.
Après Blue Dragon, Mistwalker récidive sur Xbox 360 en proposant Lost Odyssey, un RPG qui peut se vanter d'avoir réuni, en dehors de Sakaguchi, des grands noms tels que le mangaka Takehito Inoue (connu notamment pour le manga Slam Dunk) et Nobuo Uematsu (connu pour les musiques de... Final Fantasy !). Mais la réunion d'autant de célébrités donnera-t-elle nécessairement naissance à un chef d’œuvre, ou bien le tout ne sera-t-il qu'un pétard mouillé, une cruelle déception ? Embarquons donc dans cette odyssée perdue pour le savoir !
Trou(s) de mémoire dans un monde troublé
Lost Odyssey suit principalement les aventures de Kaïm, un immortel amnésique œuvrant comme mercenaire pour la réplique d'Uhra. Après être ressorti (évidemment) indemne d'une bataille contre les forces de la nation de Khent, au cours de laquelle une météorite est venue s'inviter à la fête, Kaïm est chargé par les dirigeants d'Uhra d'enquêter justement sur cet incident en se rendant sur le Grand Sceptre, un bâtiment magique en cours de construction. Il sera accompagné d'une autre immortelle nommée Seth et de Jansen, un magicien mortel venu les accompagner sous l'ordre de Gongora, conseiller au sein de la république d'Uhra. Ce dernier n'apprécie guère qu'on vienne enquêter de cette façon sur le Grand Sceptre dont il a la responsabilité, cet édifice étant une partie d'un vaste projet consistant à mettre le monde entier sous son contrôle. Cependant, l'enquête tourne court suite à l'intervention des forces de la monarchie de Numara, à la suite de laquelle s'enchaîne diverses péripéties au cours desquelles Kaïm rencontrera d'autres immortels et recouvrera peu à peu la mémoire...
Le Grand Sceptre, pilier des convoitises de Gongora
Le soft révèle un scénario passionnant, mature et riche en émotions, même s'il met pas mal de temps pour démarrer. Cet intérêt pour le récit passe d'abord par sa réflexion sur la condition d'un immortel. Le jeu questionne de manière assez récurrente le joueur sur la question de savoir si l'immortalité est une bénédiction ou une malédiction, notamment par le biais de rêves qui prennent la forme de récits fort bien écrits (pour peu qu'on apprécie un tant soit peu la littérature!) et narrant le passé millénaire de Kaïm et de quelques protagonistes immortels.
Il y a également dans le soft un aspect politique assez bien développé, et illustré à grands coups de complots et de manipulations menées d'une main de maître. On retrouve aussi des questionnements sur l'industrialisation, représentée ici par les progrès liés à l'énergie magique, et ses conséquences sociologiques et environnementales.
Le récit nous livre ses clés de compréhension de manière progressive, ce qui permettra d'en apprendre toujours plus sur les origines des personnages principaux ou sur l'univers du jeu en général. Quelques passages de l'histoire sont réellement émouvants (mention spéciale pour la fin du jeu, mais pas de spoil !) et redonnent encore plus d'intérêt à celle-ci.
Pour autant, ce récit comporte également ses défauts, en effet celui-ci se veut tout de même manichéen dans sa présentation des forces en opposition. De plus, le charisme des personnages est variable : si le personnage de Kaïm est charismatique par son caractère taciturne mais non dénué de sentiments, on peut notamment en dire moins de Mack, un jeune garçon pleurnichard et à l'utilité grandement discutable dans le récit, même si ce dernier évolue sensiblement au fil de l'histoire. Mais dans l'ensemble, chaque personnage recèle quand même son intérêt dans l'aventure, même si chacun aura ses favoris.
Kaïm, un homme en quête de réponses sur son passé
Une réalisation inégale
On a donc un scénario plaisant, malgré l'utilité relative et le charisme limité de certains de ses protagonistes. Mais que dire de l'ambiance constituée par les graphismes et la bande-son ?
Pour les graphismes, en ce qui concerne la technique, ces derniers sont plutôt satisfaisants pour un jeu sorti dans les débuts de la Xbox 360. Le tout est assez bien réalisé et l'aliasing se fait rare. Pour autant, avec les voix anglaises, la synchronisation labiale n'est pas toujours au rendez-vous. Pire encore, les lèvres des personnages sont par moments immobiles, alors même que ces derniers s'expriment. Pour un jeu de 2008, ce détail passe quand même en travers de la gorge !
Autre détail qui coince, les temps de chargement. Même s'il ne sont pas extrêmement longs, ils sont présents de manière régulière et coupent pas mal l'action. N'oublions pas non plus quelques chutes de framerate assez désagréables, parfois même lors de cinématiques.
Concernant le côté artistique, les villes sont bien détaillées et présentent une ambiance réellement différente, mais qui semblent légèrement inspirées par les précédents Final Fantasy. Ainsi, la ville de Gohtza par exemple semble avoir un petit air de ressemblance avec la ville de Midgar aperçue au début de Final Fantasy 7.
Rien toutefois de très choquant à ce niveau, les cités de Lost Odyssey gardent une identité propre à chacune. Les décors, quoique marqués d'un certain classicisme, restent suffisamment variés et rendent ainsi notre voyage captivant. Quelques défauts sur le point artistique restent néanmoins à relever.
Il s'avère en effet que le character design est plutôt bancal, ce qui est étonnant quand on sait que c'est un grand mangaka qui en a la charge. On oscille entre le juste correct et le mauvais goût selon les personnages, alors que celui des monstres est plutôt satisfaisant. On peut ici penser aux couettes (!) de Mack, mais aussi au look façon Heihachi Mishima du pauvre du général Kathanos, qui n'est pas non plus extrêmement convainquant. On aurait pu pester d'ailleurs contre l'armure dorée de Tolten dont le goût esthétique semble douteux, ou bien la tenue outrancière de Ming. Le travail de Takehito Inoue est donc assez décevant sur le jeu, même s'il n'est pas complètement catastrophique. Rajoutons à cela une mise en scène parfois peu inspirée, avec l'utilisation assez anedoctique dans les cinématiques de séparations d'écran qui n'apportent pas de vrai plus-value à ce qu'il se passe à l'écran, pour obtenir un rendu artistique assez inégal, au même titre que l'aspect technique.
Voici Kathanos, un mix raté entre Heihachi Mishima et un général de la Rome Antique
Pour ce qui est de la bande-son, on est en droit d'attendre un travail d'excellente qualité au niveau de la musique, comme Nobuo Uematsu sait aisément le faire. Et bien pour Lost Odyssey, on ne crie pas au génie, mais ses musiques se révèlent satisfaisantes, voire même excellentes pour certains thèmes. Et si on remarque un certain classicisme dans les compositions du jeu, on remarque chez certaines un style propre à Nobuo Uematsu qu'il a usé pour les Final Fantasy.
Toutefois, la variété des musiques employées dans le jeu interroge. Dire cela alors que l'OST tient sur 2 CD et contient 56 titres, on peut penser qu'il y a exagération à ce sujet. Malheureusement, certaines musiques sont réutilisées un nombre presque incalculable de fois pour des situations similaires (en dehors du thème principal, celui de combat, de victoire et de Game Over, cette répétition allant de soi!), ce qui donne une étrange impression de monotonie. Chose d'autant plus étrange après avoir écouté l'OST qui semble pourtant relativement variée ! Ne nous étendons pas trop sur les bruitages, car ces derniers sont efficaces et servent à l'ambiance du jeu, pour nous étendre sur les voix. Mettons également de côté les soucis de synchronisation labiale évoqués précédemment pour nous concentrer sur le travail de doublage. Là, il y a eu du boulot concernant la localisation et vous aurez un bon choix concernant les langues : du français au japonais, en passant par l'anglais ou même l'allemand, vous en aurez pour votre argent ! Les voix anglaises s'avèrent correctes, mais il est plus judicieux de se tourner vers les voix japonaises du qui, comme bien souvent, s'avèrent réussies. Et miracle, les voix françaises se n'avèrent pas si catastrophiques que ça, malgré tout de même quelques ratés.
Je t'attaque, tu m'attaques, etc...
Contrairement à la tendance du combat en temps réel ou semi-réel dans laquelle s'était engouffrée les RPG japonais à cette époque, Lost Odyssey garde un gameplay des plus classiques dans son genre. C'est donc un retour à la tradition du combat au tour par tour. Mais quelques particularités viennent nuancer ce côté classique des combats. Tout d'abord, il est possible de varier la puissance des attaques en réussissant une sorte de mini-jeu, activé lors qu'un personnage, équipé d'un accessoire spécifique, est sur le point d'infliger une attaque physique. En pressant et en relâchant la gâchette RT au bon moment, le coup de votre personnage sera plus ou moins puissant selon la précision de votre timing.
Va falloir rester un minimum actif avec votre manette durant les combats !
Ensuite, il est possible de changer l'équipement d'un personnage pendant le combat et même la formation de votre groupe. Et justement, attardons-nous sur l'importance de cette formation, composée d'une ligne avant et d'une ligne arrière. Il importe en effet de placer vos personnages les plus résistants sur votre ligne avant, car cela augmente la protection conférée aux personnages de la ligne arrière. Plus précisément, l'addition des points de vie des personnages placés à l'avant forme ce que l'on appelle la CG, dont l'utilité est de réduire les dégâts causés aux combattants situés à l'arrière. Ainsi plus la CG est élevée, moins les personnages composant la ligne arrière encaisseront de dommages. Cette CG diminue évidemment si ceux placés à l'avant subissent des dégâts, mais il est possible d'augmenter de nouveau cette CG via l'utilisation de compétences particulières.
En avant ou en arrière, tout le monde finira par combattre !
Enfin, sachez que certains personnages peuvent ressusciter automatiquement après être tombé au combat. Oui, vous avez bien lu, les personnages immortels peuvent se rétablir s'ils ont été vaincus, mais au bout de quelques tours. En revanche, les personnages mortels doivent être ressuscités avec un objet adéquat, même s'il est également possible de faire revenir au combat les immortels avec de tels objets. Au final, même si le gameplay adopté pour les combats reste assez classique, quelques trouvailles le rendent tout de même moins linéaire et convenu, sans non plus révolutionner le genre.
Et en dehors des combats alors ? Même constat : on garde tout ce qui fait le sel des RPG. On retrouve donc les habituelles montées de niveaux, les points d'expérience et l'argent gagnés lors des combats, la création d'accessoires via une forge...
Mais là aussi, des particularités viennent s'y mêler, la plus notable résidant dans l’apprentissage des compétences par les immortels. Si les mortels obtiennent des compétences par la montée de niveaux et peuvent bénéficier d'autres upgrades grâce à des accessoires, les immortels eux ne gagnent pas de compétences en montant de niveau. Pour ces derniers, leur apprentissage se fait en glanant des points de compétences à chaque combat. Une fois obtenus en nombre suffisant, ils permettent d'apprendre d'ajouter les compétences des mortels à leur panel, voire même les effets octroyés par les accessoires du jeu de manière permanente, contrairement aux mortels qui profiteront de cet effet uniquement quand ils seront équipés de cet accessoire. Il est ainsi possible de construire vos immortels de manière quasiment libre.
Quasiment, car premièrement certaines compétences sont déjà disponibles pour les immortels. Ensuite, il est judicieux d'adapter l’apprentissage des compétences selon la classe apparente de l'immortel concerné. Ainsi, il semble inutile d'apprendre une compétence basée sur la force physique à un immortel qui semble plus taillé pour les combats à distance via des sorts. Enfin, les immortels disposent d'un nombre limité de « cases » pour attribuer ces diverses compétences, même si là encore des objets voire même certaines capacités conférées par des accessoires peuvent augmenter leur nombre.
On pourrait donc conclure que Lost Odyssey propose un gameplay traditionnel et efficace dans le genre, sans défaut particulier. Certains pourront voir le classicisme comme un défaut en soi, mais il apporte tout de même la sécurité d'un gameplay solide.
Longue odyssée
Qui dit RPG dit normalement durée de vie conséquente. Conforme une fois encore à la tradition du genre, Lost Odyssey vous tiendra en haleine pendant au moins une cinquantaine d'heures si vous décidez de le finir en ligne droite. Le soft propose évidemment moult quêtes annexes au joueur qui pourront prolonger la longueur de sa partie, dont certaines peuvent tout de même s'avérer très utiles pour finir le jeu plus aisément. Mais venir à bout de ce jeu ne sera pas forcément une mince affaire. Il n'y a rien d'insurmontable non plus pour finir le jeu, mais quelques points peuvent venir ralentir notre progression, à commencer par quelques combats s'avérant assez ardus, d'autant plus que la difficulté de ceux-ci n'est pas forcément progressive et se veut donc assez variable. Ajoutons à cela la complexité de certains donjons, même si de ce côté certains diront que c'est inhérent au genre. Ça l'est certainement, mais on sent parfois que Lost Odyssey veut en faire toujours plus concernant la complexité de certains lieux. Il faudra donc venir à bout de véritables labyrinthes pour espérer finir l'aventure, d'autant plus que pour le coup, leur complexité va en augmentant au fur et à mesure de la progression du joueur, ce qui pourra rebuter les plus impatients d'entre vous.
Notons enfin la montée de niveaux qui se bloque d'une certaine façon à quelques endroits, afin d'adapter votre niveau aux ennemis qui se présenteront prochainement sur votre route. Si ce défaut tend à être gommé vers le CD 4, il est tout de même frustrant de voir sa progression ralentie par ce détail. Mais bouder Lost Odyssey sur ce point, comme sur les autres évoqués plus haut, ce serait passer à côté d'un RPG qui, sans être légendaire, constitue une expérience vidéoludique et poétique intéressante qui mérite que l'on s'y attarde, contrairement à ce qu'on peut lire dans certains avis de la presse spécialisée.
Conclusion
A défaut d'être un RPG incontournable se hissant parmi les cadors du genre, la faute à une direction artistique parfois hasardeuse, quelques soucis de réalisation technique ou encore à son trop grand classicisme pour certains, Lost Odyssey s'avère être un bon représentant du genre, notamment pour sa poésie et les thèmes abordés par son récit, servi par un gameplay et une bande-son efficaces. Une expérience réellement divertissante et intéressante en somme !
A défaut de proposer une musique qui colle à l'univers de Lost Odyssey, ce trailer aura le mérite de vous le présenter efficacement !
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